Samedi 9 décembre 1995, Mikhaïl Timofeievitch Kalachnikov a découvert la France pour la première fois. "Un vieux rêve" pour cet homme de 76 ans. L'inventeur du mythique fusil d'assaut a gardé toute sa simplicité. Celle d'un homme honnête qui a cru en sa patrie...pour le meilleur et pour le pire. Portrait d'un patriote qui n'a pas honte de son oeuvre.
Son invention est connu dans le monde entier. Certains le croient mort. Tous ces bruits, ces rumeurs, Mikhaïl Kalachnikov s'en amuse. Dans la fourgonnette qui le mène à Paris depuis l'aéroport de Roissy, il n'en perd pas une miette. A 76 ans, cet homme petit et trapu, aus yeux bleus perçants, a gardé toute sa curiosité. "Parij" (Paris en russe), il en rêvait depuis longtemps. "Jamais je n'ai vu autant de voitures", s'exclame-t-il. Ses compagnons de route lui expliquent la situation en France, les grèves. Mikhaïl Timofeevitch écoute avec attention. Mais ça ne l'atteint pas. L'inventeur s'intéresse à tout ce qui se rapproche à la technique. Il veut voir une station de métro, fixe un jeune homme qui répare sa moto, observe les Famas des policiers du plan vigipirate. Rien ne lui échappe. Avant la Russie soviétique ne l'autorisait pas à sortir. "Je ne pouvais même pas me rendre à Varsovie, en Pologne", témoigne-t-il. Aucun étranger ne pouvait le rencontrer. Et Ijevsk, cette ville de l'Oural (Association France-Oural), située à 2000 kms à l'est de Moscou, dans laquelle Mikhaïl Kalachnikov travaille depuis 1948, a été fermée jusqu'en 1991. Alors, l'inventeur n'a aucun regret. "Oui, j'ai été communiste. J'ai même été député du Soviet suprême. Mais maintenant, je peux enfin sortir, voyager. J'ai déjà visité une douzaine de pays depuis la Pérestroïka". Pourtant, Mikhaïl Kalachnikov ne s'identifie pas à ceux qui dédaignent leur patrie. Il aime arborer ces médailles soviétiques lorsqu'il rencontre des journalistes occidentaux.
Mourir debout
Son pays ne l'a pas rendu milliardaire, comme il aurait pu le devenir en Occident. Mais il ne s'en rend pas vraiment compte."C'est difficile de dire combien je touche par mois, dit-il avec gène. Nos roubles ne signifient plus rien. Je dois recevoir 1 millions de roubles (environ 1000 francs) par mois, finit-il par lâcher, embarrassé. Pour un russe moyen, cela représente un bon revenu. Et Mikhaïl Kalachnikov qui vit tout seul, depuis la mort tragique d'une de ses filles, s'estime presque privilégié.
Comme bien des inventeurs, il n'a pas fait d'études. "Pendant la Grande Guerre patriotique (la Seconde Guerre Mondiale selon le jargon soviétique), j'ai été gravament blessé. Les allemands disposaient d'armes bien plus pratiques que les nôtres. A l'hôpital, je n'ai pas cessé d'y réfléchir. Et c'est à cette période-là que j'ai conçu l'AK 47", explique-t-il.
Cette invention a pourtant de quoi faire froid dans le dos. A partir des années 60, la kalachnikov a été quasiment utilisée sur tous les fronts. Mais l'inventeur ne se considère pas responsable, même si les larmes lui viennent quand il pense à toutes ces guerres. "les politiques sont responsables. Moi, j'ai crée l'AK 47 pour défendre ma patrie", dit-il.
Sa Russie natale, il l'aime et elle lui rend malgré tout. Ainsi pour ces 75 ans, Boris Eltsine s'est déplacé en personne à Ijevsk pour le féliciter. Un an après, Mikhaïl Kalachnikov travaille toujours dans une entreprise qui fabrique des armes de chasse. La retraite ? Il ne veut pas en entendre parler. "Moi, dit-il, je suis comme l'arbre, je dois mourir debout".
Cécile Bacquey